Un jour, Patti Smith viendra voir Albertine aux Matelles

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"Un jour, j'irai sur sa tombe avec un Thermos de café noir. Je m'assiérai à côté d'elle et j'arroserai de parfum au muguet sa pierre tombale - en forme d'astragale, comme l'avait voulu Julien. Mon Albertine, comme je l'aimais ! Ses yeux étincelants m'ont permis de surmonter les tourments de ma jeunesse. Elle a été mon guide lors de ces nuits tumultueuses. Et maintenant, elle est à vous." Qui donc évoque de la sorte Albertine Sarrazin, l'auteur de "L'Astragale" ? Ces quelques phrases sont parmi les prolégomènes de Patti Smith qui accompagnent la réédition admirablement préfacée qui vient de paraître chez Pauvert avec un magnifique dessin de couverture de Dominique Bordes.

Dans son propos, qui a lui seul vaut achat du livre, la grande prêtresse rock'n'roll explique en des termes poignants combien la lecture de ce livre a accompagné sa vie de femme. "Sans Albertine pour me guider, aurais-je fanfaronné de la même façon, fait face à l'adversité avec la même ténacité ?" questionne-t-elle en soulignant que c'est un jour de la Toussaint 1968 alors qu'elle n'avait qu'un dollar et un ticket de métro en poche pour satisfaire sa faim et son envie de café qu'elle acheta le roman de ce "Genet au féminin" dans une librairie de la 8e Avenue, à New-York.

Albertine Sarrazin, elle, était déjà morte. Une incroyable négligence d'anesthésie venait d'ôter la vie à cette toute jeune trentenaire dans un hôpital de Montpellier courant 1967. Avec Julien, l'homme de sa vie, elle venait juste de s'installer à l'Oratoire, un mas situé sur la commune des Matelles, où elle retrouvait la nature après deux années passées dans les tours du Petit-Bard, à Montpellier. Albertine Sarrazin, c'est une étoile filante voire fulgurante passée en littérature qui serait devenue une écrivaine reconnue malgré sa vie de patachon si elle avait vécu davantage. Une vie de roman aussi. Celle d'une détenue qui se fait la malle à 19 ans par-dessus le mur d'une prison qui pensait la retenir pour 7 ans après un braquage. Elle se brise la cheville en retombant et croise aussitôt la route d'une canaille. C'est Julien. Ils ne se quitteront plus malgré les récidives et les incarcérations. Ils s'aimeront. Elle l'attendra toujours. Ecrire, c'était aussi combler l'attente de son malfrat.

Albertine Sarrazin, une existence de marginale et une péripétie d'astragale qui a marqué sa vie clodiquante. C'est des livres jetés crument au visage du lecteur comme des morceaux de vie, parfois de survie. Une éternelle envie de fuir un destin qui depuis sa naissance algéroise lui fit des croche-pattes réguliers, elle si fragile de la cheville. Un prénom d'emprunt, un oncle violeur, une famille accueillante qui ne l'était pas, une maison de redressement, les affres de la prostitution, le vol pour subsister... une trajectoire éternellement borderline. Et la mort au tournant d'un bistouri alors que l'apaisement s'emparait enfin de son quotidien.

Hormis Julien, la trajectoire d'Albertine Sarrazin n'a pas souvent fait de belles rencontres. Si ce n'est lors de son entrée en littérature avec Jean-Jacques Pauvert (les éditions Pauvert sont aujourd'hui la propriété de Fayard), qui fut son seul éditeur et le premier à éditer Sade également. Aujourd'hui, Albertine Sarrazin n'est plus tellement lue hélas. Son nom a été donné à Montpellier à une Maison pour tous à l'entrée du parc de la Guirlande à Figuerolles, l'Oratoire des Matelles ne se visite pas car c'est devenu une propriété privée. Mais L'Astragale (tout comme La Cavale) reste indémodable et vient même d'être adapté en bande dessinée.

"En 1976, j'ai parcouru le monde et transporté L'Astragale dans une petite valise en métal remplie de tee-shirts sales, de talismans et de cette même veste noire que j'ai portée avec désinvolture sur la pochette de Horses", nous dit encore Patti Smith confirmant au passage la place d'Albertine Sarrazin, ce bouton de fleur malmené, chez les rebelles et les blousons noirs. Lorsqu'elle a fait étape aux arènes de Nîmes cet été en première partie de Neil Young, Patti Smith ne s'est pas rendue aux Matelles. Peut-être faut-il que quelqu'un prenne les choses en main. Pour qu'elle aille se recueillir sur la tombe d'Albertine. Pour revivre sa vie en accéléré. Avec son thermos de café noir.

Jérôme CARRIERE

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