Montpellier perdrait son accent. Faut-il s'en inquiéter ?

Publié le par Jérôme Carrière

J’ai entendu plusieurs fois cet argument sur le terrain durant cette campagne électorale : Montpellier perdrait peu à peu son accent. Faut-il s’en inquiéter ?

L’accent pose déjà question sur le nom lui-même. Régulièrement survient le débat de l’exacte prononciation qui n’en finit pas d’agiter des linguistes de salon qui glosent beaucoup mais, au final, ne tranchent jamais ce drame insondable : « Mont(peu)llier » ou « Mont(pé)llier » ? La logique voudrait que l’accentuation soit la même que dans le mot « cellier » mais oser cela, c’est déjà être tendancieux et là n’est pas le propos. Il y a toujours un peu de traitrise dans l’accent. Combien de fois ainsi a-t-on lu Clémenceau - jusque sur les panneaux de signalisation en ville, à côté du lycée - alors que le nom du Tigre est dénué d'accent aigu !

Qu’il soit pointu, méridional, tonique ou que sais-je, un accent est a priori un supplément appréciable. Presque une marque de fabrique. Une tilde chantante. Une estampille de terroir. Cela signifie que celui qui le possède n’a pas le-parler-de-tout-le-monde. A la seule évocation du mot accent, je pense immédiatement au poème de Miguel Zamacoïs, magnifié en son temps par le timbre de Fernandel, qui dit notamment (« Ceux qui n’ont pas d’accent, je ne peux que les plaindre / Emporter avec soi son accent familier / C’est emporter un peu sa terre à ses souliers »).

La première fois que j’ai quitté durablement Montpellier, pour rejoindre l’école de journalisme de Bordeaux, j’ai été immédiatement confronté à mon accent. Vu d’ici, il n’est pas si fort que cela. Ailleurs, il marque au fer rouge, voire au Midi rouge. Tant que l’on parle chez soi, avec des proches, ses potes, dans sa ville ou jamais trop loin, on assaisonne sans y prendre garde. Comme l'huile d'olive avec la salade. Les autres font pareil mais ils ont peu ou prou la même sirène de langue. Donc, ça passe. Mais, dès qu’on s’éloigne du sérail, les mots s’emballent à votre corps défendant. En Gironde, je me souviens dans un emportement avoir déclenché un fou rire en disant « peneu » alors que ceux qui riaient ne trouvaient rien à redire à leur « smidi » pour dire à midi. A Montpellier, il faut dire qu’il y a le choix parmi les outrances langagières entre le sanouich, le camillon, le tranwouais, le baské… La palme revenant au cousin du caleçon : le zlip ! De la même façon, chaque fois qu’un sudiste s’exprime sur un plateau télévisé, comme ils prennent toujours des profils atypiques et souvent à deux neurones, cela tourne vite à la caricature. Dans l’inconscient collectif, il y a une tendance fâcheuse contre laquelle il faut lutter : elle consiste souvent à prendre quelqu’un qui a un fort accent du Sud pour un « teubé ». Alors que si on le laissait parler davantage, concentré sur son raisonnement et non sur la résonance, on serait parfois surpris.

Revenons à l’accent. Celui chanté par les Fabulous Trobadors (« le tien, c’est le tien et le mien, c’est le mien : l’accent ! Tu l’écoutes et vois qu’il est bien, chacun au début possède le sien ») Dis comme cela, il nous laisse plus circonspect que circonflexe. Pourquoi ? Dans l’hexagone, on retrouve presque autant de fromages que d’accents. Même s’il y a les tenants des pâtes dures et molles, les premiers se partagent. Pour les seconds, c’est moins simple. J’ai connu une famille originaire de Compiègne qui s’est établie à Béziers où les enfants en bas âge ont effectué toute leur scolarité. Entendre simultanément les deux générations s’exprimer, c’était le fou rire assuré… L’accent, ça peut s’attraper aussi facilement que la varicelle. Et il peut se modifier au gré de votre itinéraire. Perso, il paraît que quand je monte le Pas de l’Escalette, je commence déjà à rouler les « r » comme si je revenais soudainement à mes origines lozériennes.

Montpellier perdrait son accent ? Peut-être. Mais comment peut-il en être autrement dans une ville qui reçoit dix nouveaux habitants par jour et où la tradition de l’accueil remonte jusqu’à Amalbert ! Mais, si la bonhomie méridionale se perd un petit peu, ne soyons pas trop inquiets quand même. Il reste dans nos trop rares bistrots, sur les étals de nos marchés et parfois au coin de notre rue, de beaux spécimens qui donnent raison à Zamacoïs. « Mon accent ? Il faudrait l’écouter à genoux ! »

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