Quel avenir pour la Tuilerie de Massane de Delteil ?
Voilà maintenant plus de 35 ans que Joseph Delteil a disparu. A Grabels, le domaine de la Tuilerie de Massane, où l'écrivain a vécu de 1937 jusqu'à sa mort, est aujourd'hui une bâtisse très dégradée qui attend toujours de renaître sous une autre forme. Ou de disparaître complètement en emportant avec elle sa riche histoire qui remonte au début du XVIIe siècle. Si la Tuilerie de Massane n'a probablement jamais été une fabrique de tuiles, elle a en revanche bien appartenu à un dénommé Pierre Massane alors conseiller du Roi. Construit en 1603, le mas restera au sein de cette même famille durant environ un siècle et demi. Divers propriétaires se succéderont jusqu'à ce que le domaine soit acheté juste avant la Première Guerre mondiale à part égales par Joseph, Marie et Caroline Delteil, respectivement soeur et épouse de l'auteur de "Jeanne d'Arc". Elle, Caroline l'Américaine née Dudley et créatrice de la « Revue Nègre » à Paris et lui, l'Audois de Villar-en-Val et de Pieusse, couronné par le prix Fémina en 1925 venaient de quitter définitivement la capitale après dix folles années à côtoyer le gratin de la création littéraire et artistique de l'époque.
C'est Joseph Delteil lui-même qui nomme alors son mas la Deltheillerie ("La Deltheillerie, c'est le domaine imaginaire de ma création, comme la Tuilerie de Massane est le domaine réel où je vis... Ah ! La Tuilerie, je n'y suis pas né mais je considère que c'est ma maison sur la Terre. C'est celle où j'ai le plus souvent habité, celle où j'ai fait ma coquille comme un escargot...") Alors voisins des Delteil, la famille Poudevigne a occupé le domaine à partir de 1957 qu'ils ont acheté en viager. Au départ, les acquéreurs sont une fratrie de sept frères et soeurs. Marie étant décédée avant son frère, la présence des Delteil s'éteint à la Tuilerie de Massane avec la mort de Caroline, survenue en 1982, le couple n'ayant pas eu d'enfant. Les Poudevigne, eux, résideront sur place pendant trente ans, soit jusqu'à la fin des années 80. Depuis, la bâtisse a été louée à des particuliers pour partie, à des associations ou petites structures commerciales pour d'autres. Mais, elle court toujours après son lustre d'antan. Et la Tuilerie de Massane est en vente depuis une trentaine d’années…
Courant 2004, une collectivité locale a voulu se porter acquéreur du domaine ou de ce qu’il en reste. Car les vignes environnantes ont été sacrifiées depuis longtemps au prix de l’urbanisation galopante et au développement d’Euromédecine et du biopôle Cap Gamma - Cap Delta qui lèche les parcelles restantes de la Tuilerie de Massane. Mais elle s’est heurtée à une minorité des actuels propriétaires en indivision. Que s’est-il passé depuis ? Une partie de la toiture de ce qui était le chai des Delteil s’est effondrée. De son côté, l'association Les amis de Joseph Delteil a marqué comme il se devait le 30e anniversaire de la mort de l'écrivain. Toujours très attentive au devenir de la Tuilerie de Massane et à sa volonté de répandre l'oeuvre du poète-vigneron, elle a procédé avec le concours de la communauté d'agglomération de Montpellier à l'installation d'une stèle positionnée au bord de la route qui longe la Tuilerie de Massane et qui rappelle les grandes heures du site. Ici, en effet, ont été accueillies régulièrement des personnalités marquantes de la création littéraire de la seconde moitié du XXe siècle comme Henry Miller, les époux Robert et Sonia Delaunay, Lawrence Durrell, les époux Pierre et Colette Soulages (pour fuir le STO, celui-ci travaillait alors dans les vignes voisines du domaine de la Valsière) ou encore Frédéric-Jacques Temple.
Libération d’abord, Midi Libre ensuite préciseront dans des articles en forme d’alertes que le domaine de la Tuilerie de Massane était la proie des promoteurs et des investisseurs alléchés tels des rapaces par ces terres inespérées en lisière de Montpellier. Aussi, la commune de Grabels a eu la sagesse de s’interposer en 2008 via le projet de création d’une zone d’aménagement différé (ZAD) sur le secteur de Gimel qui comprend une vingtaine d’hectares dont la Tuilerie de Massane. Ce qui avait le mérite de rendre les terrains inconstructibles dans l’immédiat. Après les élections municipales, les équipes en place devront se pencher sur le devenir de la Tuilerie de Massane et imaginer quel pourrait être le type d’équipement public pertinent in situ. Une maison Joseph-Delteil semble bien improbable car il ne reste rien sur place. Une maison des écrivains, une maison des écrits et des vins ? C’est à imaginer.
En France, de nombreuses localités et de toutes tailles ont été confrontées à la seconde vie d’un patrimoine bâti ayant appartenu à une personne célèbre. L’option muséographique n’est pas toujours évidente mais la maison de Charles Trénet à Narbonne et plus encore celle de Pierre Loti à Rochefort montrent qu’une nouvelle vie est possible mais si elle est souvent très coûteuse. Pour ma part, je rends ici public le contenu d'un échange épistolaire avec l'écrivain Frédéric-Jacques Temple en date de septembre 2011. En marge de la parution de son "autobiographie" (Beaucoup de jours, chez Actes Sud), je m'étais permis de lui demander son sentiment au sujet de la Tuilerie de Massane dont il fut un habitué comme ami du temps des Delteil. Aujourd'hui nonagénaire et retiré dans le Gard, il n'en garde pas moins son franc-parler, une grande lucidité et en profite pour ouvrir des pistes : « Je ne me suis pas impliqué dans le projet de ressusciter la Tuilerie. Je pense qu'il ne me plairait pas de la revoir "autrement", surtout après avoir constaté (photos à l'appui) le pillage dont elle fut victime, tout de suite après. Et pas par les Poudevigne ! Comme il n'est plus question de la remettre en état (et sans son âme), le mieux serait d'en faire un lieu culturel ; mais cela entraînerait des frais de restauration et ensuite de fonctionnement considérables, impensables en ce présent temps de crise. Mais on peut y songer… » La porte est donc ouverte. A Saint-Florent le Vieil, la maison natale de Louis Poirier alias Julien Gracq vient d’être rénovée et transformée en résidence de travail pour les écrivains. Il est vrai cependant qu’elle n’est pas restée en errance pendant trente années…
Une chose est certaine, il n’est pas imaginable de raser la Tuilerie de Massane. C’est un véritable pan de patrimoine. Alors inventons lui vite de beaux lendemains.